Traité de libre-échange: menaces ou vaines promesses ? Danièle Favari
Libre-échange : menaces ou vaines promesses ?
Un article de Danièle FAVARI, auteur de EUROPE / Etats-Unis: les enjeux de l’accord de libre échange
Pour David Ricardo, « le bon moyen pour éviter que les rendements décroissants ne paralysent l’économie était de spécialiser chaque pays dans le domaine d’activité où il était le plus efficace » C’était « une attaque en règle du protectionnisme[1] justifiant le libre échange»[2] qui apparaissait alors, à son époque, comme l’un des facteurs de la croissance économique et du plein emploi.
Ces deux conditions qui subordonnent l’échange international sont elles réunies ? Car des changements fondamentaux – intervenus dans le contexte institutionnel et les caractéristiques de la mondialisation – sont à l’œuvre depuis le début des années 90[3]. Et c’est précisément le 22 novembre 1990 que fut instaurée la Déclaration transatlantique (qui institua des sommets UE-USA annuels via la coopération entre les deux zones).
Or, la nouvelle approche du commerce international montre que les bénéfices potentiels qu’un pays est en droit d’attendre [de sa participation] sont que leur obtention dépend d’abord de la capacité de ses entreprises à adopter des stratégies aptes à s’adapter à une conjoncture internationale[4], c’est-à-dire à affronter les conditions de la concurrence qui prévaut sur le marché mondial.
Dès lors, on comprend que l’action de l’État apparait souhaitable pour conforter leur compétitivité. Après dix ans de désindustrialisation, 750 000 emplois détruits et une perte de 6 points dans le PIB de la part de l’industrie, la question de la relance de l’activité a été remise au cœur du débat économique et du redressement de la France. Afin que la France redevienne compétitive, le gouvernement a, en effet, mis en place 34 plans pour le redressement industriel du pays avec pour objectif la création de 480 000 emplois, d’ici les dix prochaines années. Or, la production industrielle française continue de décrocher face à l’ensemble de la zone euro à l’automne 2014 et y sera probablement à nouveau inférieure en 2015.
https://www.coe-rexecode.fr/
Si « la question de la compétitivité se cristallise autour du thème du coût du travail[5], c’est parce qu’il s’agit du levier le plus efficace à court terme pour améliorer la compétitivité-coût des entreprises et d’une économie car, en revanche, améliorer la compétitivité hors-coût[6] prend beaucoup plus de temps.
https://www.coe-rexecode.fr/public/Indicateurs-et-Graphiques/Indicateurs-du-cout-de-l-heure-de-travail-en-Europe
https://www.huffingtonpost.fr/2014/04/15/medef-salaires-smic-laurence-parisot-logique-esclavagiste_n_5153923.html
L’ouverture de l’économie sur le marché mondial relève, en outre, d’un choix collectif (celui du Conseil européen) sanctionné par une décision gouvernementale (celle du Parlement européen) ; comme c’est le cas des accords de libre-échange avec le Canada et les Etats-Unis, deux zones attirées par le vaste et lucratif marché de 509 millions de consommateurs que représente l’Union européenne.
Alors que la pensée économique de Ricardo proclamait la prééminence du marché sur l’État, « la question du Règlement des Différends Investisseur/Etat[7] est clairement sur la table » selon Matthias Fekl, Secrétaire d’Etat au commerce extérieur.
Jean-Claude Juncker envisage[rait] sa suppression dans le TAFTA[8], il a d’ailleurs réaffirmé, lors de son investiture « qu’il n’y aurait rien qui limite pour les parties l’accès aux tribunaux nationaux ou qui permettrait aux tribunaux privés d’avoir le dernier mot dans les différends entre investisseurs et États ». Cécilia Malmström, nouvelle Commissaire européen au Commerce, a également souligné la primauté du droit et le principe d’égalité devant la loi qui s’applique également dans ce contexte et que, pour le moment, ce mécanisme d’arbitrage était « au point mort » (pour cause de consultation publique dont les résultats devraient être rendus publics courant novembre).
Cependant, “les nombreux arrêts rendus depuis vingt ans constituent une jurisprudence qui transforme radicalement le droit international car la plupart des procédures engagées devant le CIRDI[9] par des investisseurs n’auraient pas été recevables devant les instances d’arbitrage de droit international classiques respectueuses de la souveraineté des États “[10] alors qu’elles le sont en application des traités bilatéraux.
La protection de leurs IDE (Investissements Directs Etrangers) garantira d’ailleurs aux investisseurs – par l’interdiction à leur encontre de mesures déraisonnables, arbitraires ou discriminatoires y compris contre l’expropriation – le respect de leurs intérêts en s’appliquant à tous les niveaux de gouvernement au détriment des Etats membres puisque de l’aveu même de Fleur Pellerin, les négociations posent la question de l’extraterritorialité du droit américain qui prédomine[11] [soft power].
Déjà, avant même la signature de l’accord avec les Etats-Unis, le gouverneur républicain de la Caroline du Nord menace la France de représailles[12] considérant le projet de Marisol Touraine d’imposer le paquet de cigarettes “générique” à partir de 2016 comme une «attaque directe» au droit des marques, confirmant ainsi les conséquences du RDIE/ISDS que nous avions subodorées.
Laissons au lecteur le soin de tirer les conséquences logiques des dispositifs mis en place pour savoir si – en l’état actuel – l’intérêt de la France et de l’UE est de s’ouvrir au marché mondial quand elle affiche un excédent commercial alors que ses importations en provenance de la plupart de ses principaux partenaires se sont contractées, en janvier 2014, en raison d’une baisse du pouvoir d’achat.
https://www.ladepeche.fr/article/2014/01/15/1795209-zone-euro-excedent-commercial-du-a-une-baisse-des-importations.html
https://www.lejdd.fr/Economie/Le-spectre-de-la-deflation-plane-sur-l-Europe-670183
[1] du fameux « made in France » d’Arnaud Montebourg
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/07/11/arnaud-montebourg-des-paroles-pour-quels-actes_4455655_4355770.html
[2]C’est la fameuse loi des coûts comparatifs
[3] Avec les Accords du GATT et la création de l’OMC, notamment
[4] du Tertre Renaud, « La loi des coûts comparatifs et la formation des prix internationaux chez Ricardo », Cahiers d’économie Politique / Papers in Political Economy
[5] La compétitivité-coût compare l’évolution des coûts salariaux unitaires de la France à celle de ses partenaires
[6] La compétitivité hors coût désigne les autres facteurs : qualité, l’innovation, l’image de marque, la logistique, les délais de livraison, le processus de vente, l’ergonomie, le design, etc. (Source : Le Monde, La folle course à la compétitivité des Européens, mars 2014)
[7] Règlement des différends Investisseur-Etat ou Investor-State Dispute Settlement
[8] ce mécanisme est pourtant partie intégrante du CETA et du FTA et le Ministre de l’économie, le social-démocrate Sigmar Gabriel, a affirmé, fin septembre 2014, devant le Bundestag, que l’Allemagne ne signerait pas le CETA tant que le mécanisme d’arbitrage ne serait pas retiré de l’accord.
[9] Le CIRDI a été créé le 14 octobre 1966 par la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD du groupe de la Banque mondiale) afin d’arbitrer les conflits entre un État et un investisseur originaire d’un autre État.
[10] Le Centre international de règlement des différends sur l’investissement (CIRDI) par Attac, décembre 2009
[11] Audition de Fleur Pellerin à l’Assemblée nationale du 17 juin 2014
[12] https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2014/10/15/20002-20141015ARTFIG00005-cigarettes-la-caroline-du-nord-menace-la-france-de-represailles.php
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