TAFTA : mesdames et messieurs les députés…

Texte rédigé par Danièle FAVARI, jusriste de l’environnement et auteur du livre: EUROPE / ETATS-UNIS: LES ENJEUX DE L’ACCORD DE LIBRE ECHANGE.Europe – États-Unis : les enjeux de l’accord de libre-échange
Madame la Députée, Monsieur le Député,
Le 9 octobre 2014 – à la perspective de la Journée européenne de mobilisation – la Commission européenne a enfin déclassifié et rendu public le mandat, jusque là classé « trade sensitive », qui lui a été donné par le Conseil et le Parlement européens pour mener les négociations des accords de libre-échange avec les Etats-Unis et le Canada, connus sous les acronymes de PTCI (Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement), AECG (Accord Economique Commercial Global), ACS ou TISA (Accord sur le Commerce des Services) ou encore FTA (EU and Singapore Free Trade Agreement).
Les différents articles du mandat nous en étaient, néanmoins, connus depuis près d’un an ; ce qui nous a permis d’analyser les différentes mesures à venir, d’autant plus que le texte intégral de l’Accord Économique Commercial Global (en anglais CETA) avec le Canada, rendu public quelques heures seulement avant sa signature, [en français sur le seul site du gouvernement canadien] a, depuis, confirmé nos craintes, puisqu’il doit servir de modèle au futur traité avec les États-Unis.
Selon Matthias Fekl, Secrétaire d’Etat au commerce extérieur, la classe politique et les industriels français estiment que les entreprises nationales devraient profiter de ces accords – et gagner des parts de marché dans de très nombreux secteurs, de l’automobile au textile, en passant par la chimie, alors, qu’aux Etats-Unis, le « Buy American Act » leur en restreint l’accès. C’est en minimiser les conséquences sur notre agriculture – par l’arrivée massive prévue – désormais exempte de tous contingents tarifaires – de bœufs, veaux et porcs aux hormones.
Si la Commission européenne considère ces accords « comme l’un des remèdes pour doper la croissance en berne de l’économie sur le continent » ; les résultats annoncés sur le pouvoir d’achat des consommateurs européens ont été largement sur-estimés, comme l’a reconnu Karel De Gucht lui-même[1]. Nous pensons qu’il est plus probable que c’est le vaste et lucratif marché (509 millions de consommateurs) que représente l’Union européenne qui a la faveur de nos « futurs » partenaires. D’ailleurs, dans l’un et l’autre cas, c’est omettre que chacun des deux blocs est déjà le principal partenaire de l’autre et que les échanges entre les deux zones ne sauraient s’accroître davantage puisque les barrières douanières sont déjà faibles.
A contrario de « valeurs communes »[2] d’un bord à l’autre de l’Atlantique, celles de l’UE ont pour nom : principe de précaution, REACH, Directive-cadre sur l’eau. Dès lors, il est clair que par l’harmonisation et la reconnaissance mutuelle des normes, les multinationales américaines ne trouveraient aucun intérêt à négocier le TAFTA s’il n’était un moyen de « se débarrasser du principe de précaution »[3] et d’imposer leurs normes à l’échelon mondial.
D’ailleurs, la législation européenne va déjà dans le sens d’un moins-disant comme cela est le cas en matière d’OGM et de gaz de schiste. A Bruxelles, le Commission s’apprêterait d’ailleurs à donner le feu vert à huit nouveaux OGM ainsi qu’au renouvellement de l’autorisation pour un neuvième, en profitant de la réunion du Collège des Commissaires sortants, prévue le 15 octobre 2014.[4]
« La question du RDIE/ISDS[5] est clairement sur la table » a déclaré Matthias Fekl, Secrétaire d’état au commerce extérieur, car même si Jean-Claude Juncker vient d’annoncer qu’il envisagerait sa suppression dans le TAFTA ; il est déjà partie intégrante du CETA, validé le 26 septembre dernier. Or, on connaît déjà les conséquences de ce mécanisme – véritable “cheval de Troie” des firmes transnationales (FTN) – sur de nombreux pays, notamment d’Amérique latine[6] qui ont dû quitter depuis le CIRDI  pour retrouver leur souveraineté.
La protection de leurs IDE garantira aux investisseurs – par l’interdiction à leur encontre de mesures déraisonnables, arbitraires ou discriminatoires y compris contre l’expropriation – le respect de leurs intérêts en s’appliquant à tous les niveaux de gouvernement au détriment des Etats membres puisque de l’aveu même de Fleur Pellerin, les négociations posent la question de l’extraterritorialité du droit américain qui prédomine[7] [soft power]. Or, la nouvelle Commissaire européenne au Commerce a, lors de son audition, exposé une position favorable à l’ISDS alors que le Ministre de l’économie, le social-démocrate Sigmar Gabriel, a affirmé, fin septembre 2014, devant le Bundestag, que l’Allemagne ne signerait pas le CETA tant que le mécanisme d’arbitrage ne serait pas retiré de l’accord.
 
D’ores et déjà, alors que les finances publiques sont exsangues et que le poids de la dette s’amplifie, la responsabilité financière des futures indemnisations a été répartie entre l’Union et l’Etat membre[8], eu égard à sa condamnation future s’il est responsable du traitement [défavorable] accordé à un investisseur.

Déjà, avant même la signature de l’accord avec les Etats-Unis, le gouverneur républicain de la Caroline du Nord menace la France de représailles[9] considérant le projet de Marisol Touraine d’imposer le paquet de cigarettes “générique” à partir de 2016 comme une «attaque directe» au droit des marques, confirmant ainsi les conséquences que nous avions subodorées.

 Alors « que ces débats ne se déroulent pas devant l’opinion publique, principe même d’une démocratie en bonne santé »[10], le nouveau Secrétaire d’état français au commerce extérieur, espère « que les parlementaires français investiront davantage le sujet dans les mois à venir, à l’instar de leurs collègues allemands du Bundestag » et de la mobilisation des milliers de citoyens européens qui sont opposés à ces négociations[11]. Aussi, bien qu’il n’ait pas été précisé quels domaines relèvent de la compétence nationale, , si toutefois le caractère « mixte » de l’accord est retenu et si une ratification devant les parlements nationaux n’est pas évitée, in fine, par la nouvelle Commissaire au commerce, Cécilia Malmström, vous devriez “avoir à se prononcer [dans les semaines à venir] sur le CETA”.
En outre, ce mécanisme d’arbitrage privé menace votre capacité à légiférer et avec lui la perspective d’un contournement de nos institutions et de la souveraineté nationale, nous éloignant de plus en plus du processus démocratique.
Aussi, nous vous demandons, Madame la Députée, Monsieur le Député, de nous donner votre position sur ces accords de libre-échange s’ils relevaient de la compétence exclusive de l’Union et – en cas d’éventuel accord mixte – de nous indiquer quel serait votre vote s’il relevait d’un processus de ratification par le Parlement national sans possibilité d’amendement, nous réservant le droit d’informer l’ensemble des citoyens français de vos réponses ou de vos absences de réponses.
Dans l’attente de votre réponse dans les meilleurs délais et vous en remerciant par avance, nous vous prions de croire, Madame la Députée, Monsieur le Député, en l’assurance de notre considération distinguée.

  •  A l’initiative de Danièle Favari, Collectif Isère sud, Collectif Anti Gaz de Schiste de TOULON, Collectif GDS Royac 26, Collectif gds GArdonnenque et petite Camargue, Etienne Herbinet, Marianne Herbinet-Baudouin, Mimi Fox, Association Jaime Mejannes de la Fédération des Associations Cévenoles Environnement Nature, Collectif Auzonnet Cèze et Gagnières, Bruno Escoffier, Florent Pirot, Evelyne Olzchanech, Gérard Rivière, Annet Perrin, Collectif Haut Bugey, Matthieu Caron membre du collectif “Haute Provence pour un monde sans gaz de schiste”, Yves Michel, Théo Nedelec, Chresti-blanchine Hourcade, Stop Tafta 46, collectif Stop Tafta 84, Cristo Miche, Léa Merabati, Alain Grenaille, Magali Pernin, Ghislaine Clauzel, Bubloux du « Lot en action », Nonaugazdeschiste 91, “Conservons notre environnement et notre patrimoine, Stop GHRM 38, Collectif Stop TAFTA 67, Collectif Stop TAFTA TOULON & Environs, Collectif Stop TAFTA Canton de LORGUES, Collectif Stop TAFTA 83 et avec le soutien des + 8.946 signataires de la pétition : « nous protestons contre le traité transatlantique ».

 
[1] Karel de Gucht lui-même, contestent, les chiffres de l’étude du CEPR, « ne sachant comment on y est parvenus ».
[2] Article 1er du mandat de la Commission européenne
[3] Dixit Shaun Donnelly, lobbyiste américain et ancien haut négociateur commercial
[4] Source : José Bové, eurodéputé
[5] Règlement des différends investisseur-état ou Investor-state dispute settlement
[6]  * Bolivie, Équateur, Mexique (1996 : l’entreprise étasunienne Metalclad a poursuivi le gouvernement mexicain pour violation du chapitre 11 de l’ALENA)  et  Venezuela (après une vingtaine de plaintes de multinationales qui exigent des indemnisations colossales).
[7] Audition de Fleur Pellerin à l’Assemblée nationale du 17 juin 2014
[8] Rapport Pawel Zawelski, vote du Parlement européen du 16 avril 2014
[9] https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2014/10/15/20002-20141015ARTFIG00005-cigarettes-la-caroline-du-nord-menace-la-france-de-represailles.php
[10] [Matthias Fekl, dans « Accords de libre-échange: ce qu’en pense la France » par LUDOVIC LAMANT ET MATHIEU MAGNAUDEIX, dans Mediapart, 11 octobre 20014]
[11] #o11DoA

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