Notre système d’enseignement coule…
Je vous livre ici le témoignage d’une maîtresse d’école, heu, pardon, d’une “professeure des écoles”. Ah, que le ministère de l’éducation nationale est doué pour imaginer des noms pompeux…
J’ai personnellement vu un énoncé de problème pour un élève de 3e que je n’ai pas compris, même après plusieurs lectures : alors que peut comprendre un jeune élève ?
L’enquête internationale Pisa pointe toujours les piètres résultats du système français; la ministre de l’E.N. est allée en Finlande, un pays où l’enseignement est très différent du nôtre : qu’en a-t-elle rapporté ? Rien. Au contraire, le château-fort français continue à persécuter les écoles alternatives, je l’ai vécu en tant que maire. Avez-vous vu le film “DEMAIN” ? On y aperçoit quelques instants dans une classe en Finlande.
Les solutions ne sont pas faciles, au moins faudrait-il assouplir les “consignes” aux enseignants, et centrer la pédagogie sur l’enfant, au lieu de tenter à toute force de le faire rentrer dans le modèle actuel. Découvrez JE CROIS EN TOI. En tous cas, la situation est très grave : ouvrons les yeux !
Yves MICHEL
J’en saigne
Les systèmes craquent : santé, protection sociale, juridique, finances, éducation, sécurité publique,… nous semblons écoper le Titanic avec une bassine. Depuis mon poste d’enseignante dans le primaire, je vois le paquebot sombrer inexorablement, tout en rendant à la mer autant de seaux d’eau que possible : je guide, je protège, j’énonce des règles pour tâcher de diriger mes jeunes mousses sur leur voie dans cette société future déroutante, mouvante, fuyante, claudicante, incompréhensible.
Un tiers de mes élèves au bas mot (9 sur 24) sont diagnostiqués souffrant de difficultés scolaires : que ne met-on pas derrière le préfixe DYS ! Allez, on classe les dyslexiques, dyspraxiques, dysorthographiques et compagnie, sans oublier les autistes, les enfants souffrant de troubles de la concentration, ceux qui ne font plus le lien entre le langage et le sens, et j’en passe !
Ne croyez surtout pas que je me plains ici. Mes collègues ne bénéficient pas davantage de classes modèles, se pliant à des exigences « scolaires » dont le carcan a craqué depuis tellement longtemps maintenant. Si mes enfants souffrent de difficulté scolaire, c’est bien parce que l’école souffre de difficultés dont elle n’a pas la solution. N’inversons pas les rôles ! Je cite ici les parents perdus, les enfants dans des familles éclatées, recomposées, re-décomposées, des règles non respectées, des victimes trop “bêtes” pour se laisser être victimes, des enfants sur-stimulés par des flots d’informations, des images violentes, des jeux vidéo stressant, des rythmes effrénés, des locaux trop petits, des budgets ridicules, des enseignants dépassés qui répètent à longueur de journée “on ne peut faire que ce qu’on peut”, et j’en passe tellement : des enfants de réfugiés ne parlant pas un mot de français à la maison, des enfants dans des difficultés sociales graves, des enfants du voyage sont bien sûr accueillis à l’école de la République. Mais avec quels moyens ? Quelles formations pour les enseignants ? Quel personnel spécialisé ?
Pourtant, peut-on m’objecter, il y en a des orthophonistes, psychologues, ergothérapeutes, conseillers pédagogiques, maîtres spécialisés and cie. Nous en avons, des conseils, pour gérer les cas particuliers : il faut faire des dictées à trous, fournir du matériel spécifique pour la géométrie, des consignes tapées en caractère arial 12 avec une seule consigne, n’engageant qu’une compétence, il faut mettre l’élève face au tableau, mais pas trop mêlé au groupe. Et pas trop au fond. Ni trop devant. S’en occuper. Mais développer son autonomie. Ne pas donner son attention quand il y a un mauvais comportement,… Faire des exercices différenciés. Bien sûr. X 24. Sur un double niveau de classe. Sans un moyen pour isoler une seule table tellement la classe est petite. En gérant constamment le niveau sonore, les conflits personnels, les pertes de concentration si rapides.
Nos enfants sont donc reconnus pour beaucoup en difficulté. Ils “bénéficient” d’une étiquette qui les stigmatise désormais et nous dédouane de la responsabilité de leur condition. C’est “normal” que le jeune X ait des difficultés puisqu’il “souffre de dysmachin”. Ah, donc c’est normal qu’il n’y ait pas de remise en question fondamentale de l’école puisque l’élève a un problème avec le système scolaire auquel il faut se conformer…
La société ne peut plus gérer nos enfants. La société “fait ce qu’elle peut” , elle aussi. Notre président est démissionnaire. Il a fait ce qu’il a pu, et il ne peut plus. Au revoir. Le capitaine quitte le navire en premier.
Eh bien, comme mes collègues, je fais ce que je peux avec la conscience que je suis impuissante. Je fais face à mes élèves tous les matins. J’ai gagné la confiance de ceux qui n’avaient aucune confiance dans les adultes. Mais je gère 24 cas particuliers. Y compris les “bons” scolairement parlant qui se découragent de subir des explications pour la 300 000ème fois. Témoignage d’une des mamans d’élèves : “Mon fils est fasciné par le nombre de façons différentes que vous avez d’expliquer la même chose.” Fascination qui le sauve d’un ennui mortel. Malgré mon soin à nourrir ce jeune garçon d’exercices, de lectures, d’activités supplémentaires, comment le garder motivé ? Le Titanic coule et ce sont les musiciens qui continuent à faire diversion.
Tous ces enfants aux repères brouillés portent les déficiences de notre société à la dérive. Notre race humaine est-elle dégénérée ? Force est de constater les dégâts causés par la chimie des médicaments et de l’alimentation industrielle sur les adultes. Et sur les enfants ? Observons seulement leur mode de vie… : livrés comme des paquets à l’école dès 7h30 du matin pour certains, ils regagnent leur foyer à la nuit tombée. Parents, venez visiter la garderie du matin : une heure de pleurs des plus petits, de bruit déjà infernal. Je ne tiens personnellement pas 5 minutes. Je fuis dans ma classe faire mes préparations pour accueillir dans le maximum de calme des enfants déjà agités, à qui je dois imposer le calme dès les premières minutes. Puis on connaît les dommages causés par les écrans. L’autre jour, sur le trottoir de l’école, un jeune garçon de ma classe attendait l’ouverture des portes à 7h 25… le nez collé sur sa console de jeu. Son père à côté de lui veillait tellement bien à sa propre tranquillité. D’ailleurs, souvent en classe, je fais le show. Beaucoup me regardent, affalés comme s’ils étaient devant leur écran à regarder un film dont ils ne saisissent pas tout !
Notre société est à ce point incontrôlable que nos enfants ne parviennent plus à se retrouver dans le monde auquel nous les livrons. D’abord, aucun enseignant ne comprend les nouveaux programmes. Une soupe ! Allez, on met un peu plus de brouillard autour du chaos. Est-ce voulu ? Nous veut-on à ce point désorientés pour ne pas nous rebeller ? C’est gagné, nous sommes perdus, nous enseignants responsables directement de notre jeunesse. Écrasés, navrés. Si ce n’est irrémédiablement démotivés pour beaucoup.
Hier, j’enseignais aux enfants les euros : rendre la monnaie. J’avais tellement bien préparé une foultitude de petites pièces en carton pour que la « manipulation » puisse se faire dans toute l’intelligence de préconisations académiques. Mes élèves ont pris un grand plaisir à découvrir cette séance. Ah le bonheur simple de pouvoir « jouer » au marchand et au client ! Je me suis revue apprendre à compter ma monnaie avec le petit épicier du coin de ma rue, là où ma mère m’envoyait, enfant, chercher un litre de lait. Puis ce sentiment de découragement, d’impuissance, d’incohérence et de colère mêlés a suivi. Quel enfant, aujourd’hui, a besoin d’apprendre la monnaie ? Combien de fois a-t-il vu ses parents choisir de payer en liquide au profit de la carte bleue ? Combien de temps les billets et les pièces vont-ils perdurer ? Ces questions, quoiqu’empreintes de nostalgie pour mon épicier, débouchent sur un frisson bien plus angoissé : nos métiers d’aujourd’hui ne correspondent plus en rien à ce qu’ils deviendront ne serait-ce que dans cinq ans. Comment guider les enfants, les orienter, les conseiller, leur expliquer le sens, leur donner des outils et les clés de notre monde, nourrir leurs racines pour qu’ils puissent déployer leurs ailes ?
Sur le Titanic, nous écopons. Ensemble. En essayant de ne pas montrer à nos enfants la panique qui nous gagne. Il n’y a pas de phare. Mais ils atteindront les barques. Ils ont des ressources que nous, adultes, ne soupçonnons ni ne possédons. Je témoigne ici de la créativité de mes élèves définis comme en grande difficulté. Et il leur en faudra, de la créativité, pour savoir quoi faire de notre monde en nécessité de mutation car nous sommes en grande difficulté. Ils sont notre devenir, pourvu que nous ne les chargions pas encore davantage de nos étiquettes d’handicapés. Soumis par découragement.
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