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Par Denis DUPRE, Enseignant chercheur en finance et éthique à l’Université de Grenoble, auteur du livre Camp Planétaire : un danger bien réel. Article paru sur le Huffington Post le 22/10/2017
La planète Titanic va couler et les riches sont en train de se ruer sur les canots de sauvetage
Le type d’économie mondialisée dans laquelle nous vivons laisse l’empreinte écologique annuelle des humains dépasser ce que la planète peut supporter, conduisant à long terme au naufrage, sans prévoir un nombre suffisant de canots de sauvetage pour tous.
Nguyen Huy Kham / Reuters
Nous en étions au moment où le capitaine du Titanic et ses adjoints découvraient que le bateau ne pouvait que couler. Ils restaient les seuls à savoir qu’il n’y avait pas assez de canots de sauvetage pour tous les passagers.
Les riches passagers des premières classes ont compris par eux-mêmes ou ont été informés de l’inévitable naufrage. Ils ont réquisitionné les premiers canots mis à l’eau. Les canots d’aujourd’hui sont pour les milliardaires chinois qui fuient la pollution de l’air en Chine, leurs multiples passeports ou les 300 milliards de nos riches français placés dans les paradis fiscaux. Les classes dirigeantes qui pilotent les pays en tirent dans l’urgence les dernières gouttes de profit, comme le décrit le philosophe Bruno Latour “Tout se passe comme si une partie importante des classes dirigeantes était arrivée à la conclusion qu’il n’y aurait plus assez de place sur terre pour elles et pour le reste de ses habitants […] Depuis les années 1980, les classes dirigeantes ne prétendent plus diriger mais se mettre à l’abri hors du monde […]”[1]
Nous entrons probablement dans l’ère des conséquences: la planète-Titanic va couler, plus ou moins vite, quoi que nous fassions. Son naufrage est désormais visible aux yeux de tous sur les indicateurs écologiques même si nous n’avons pas vu venir l’effondrement du substrat planétaire qui nous fait vivre à cause de son incroyable rapidité (voir ici).
Aujourd’hui, tout le monde pressent que les canots des riches partiront sans surnombre. Si la classe moyenne est prête à tout pour servir les riches qui admettraient des serviteurs dans leurs canots, la stratégie de la première classe semble de minimiser les problèmes pour ne pas inquiéter la troisième classe dont la ruée vers les canots remettrait en cause toutes les places réservées. Un nouveau vocabulaire apparaît visant à décrédibiliser ceux qui annonceraient la catastrophe (déclinistes). Plus important encore est de faire taire ceux qui mettraient en cause l’affectation des canots de sauvetage aux plus riches (complotistes).
En troisième classe, les populations savent cependant que la mondialisation a, comme le Titanic, prévu moitié moins de places dans les canots de sauvetage que de passagers.
Nous avons tous peur, souvent sans nous l’avouer.
Nombreux sont ceux qui pressentent que s’ils acceptent, par simple humanité, que tous ceux qui se débattent dans l’eau glacée montent dans leur canot, il coulera. Dans le film Titanic, on voit certains taper avec leurs rames sur les doigts de ceux qui, nageant dans les eaux glacées, tentent de s’agripper aux derniers canots surchargés. Et je ressens un malaise à l’idée de pouvoir être aussi bien celui qui reçoit le coup que celui qui tape.
Comment rester humain et rester en vie?
Contrairement aux passagers du Titanic, il nous est encore possible de construire des canots. Quelques-uns, par exemple en France avec Nicolas Hulot, espèrent que tous ensemble, nous puissions aussi colmater quelques brèches pour gagner du temps. Il est également envisageable de réquisitionner les canots des plus riches qui partent presque à vide, comme on peut gérer les places dans les canots pour éviter la bousculade et assurer une justice dans l’affectation des places. Pourtant, la plupart des propositions mises en œuvre actuellement ne vont pas dans ce sens pour le paquebot-France.
Bruno Latour précise: “Sans cette idée que nous sommes entrés dans un Nouveau Régime Climatique, on ne peut comprendre ni l’explosion des inégalités, ni l’étendue des dérégulations, ni la critique de la mondialisation, ni, surtout, le désir panique de revenir aux anciennes protections de l’État national —ce qu’on appelle, bien à tort, la “montée du populisme”.
La proposition nationaliste-égoïste, qu’elle soit publiquement assumée ou soigneusement refoulée en chacun de nous, conduirait à faire partir le canot sans qu’il ne soit plein.
La proposition mondialiste-naïf conduirait à faire couler le canot surchargé.
Une troisième voie m’apparaît. Et si nous nous unissions pour destituer les capitaines?
Un souverainisme démocratique pourrait nous permettre de décider ensemble, avant qu’il ne soit trop tard, d’aménager les canots de sauvetage du paquebot-France de manière optimale.
Face au lent naufrage, plutôt que le déni et le violent chacun pour soi qui s’installent, pourquoi ne pas développer une philosophie de vie et une position politique?
Une philosophie de vie nous rappellerait de profiter chaque jour de ce qui est beau et bien dans notre vie et nos relations aux autres et de le cultiver avec d’autant plus de soin que ce beau et ce bien sont précaires. Non pas une boulimie de surconsommation pour se masquer la vérité, mais dans une sobriété qui aurait un sens et par des liens d’échanges qui nous renforceraient les uns les autres… et nous prépareraient à la vie sur le canot.
Une position politique raisonnable serait de préparer l’insurrection (lire ici) puisque seule une mutinerie pour destituer les capitaines peut sauver la vie à nombre d’entre nous.
[1]Latour Bruno, “Où atterrir — comment s’orienter en politique”, La Découverte, p. 10
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