Merci Oncle Bernard (Marris), par François PLASSARD
Merci oncle Bernard (Marris) pour tes vraies leçons d’économie, comme par exemple chaque samedi matin sur France Inter, qui nous rendaient plus intelligents.
Parce que tu avais une pensée sur ta pensée, une distance critique par rapport à ta discipline économique en la remettant à sa “juste” place au sein de la société pour ne pas mobiliser à elle seule le récit sur la société, tu étais un grand économiste.
Est-ce pour cette raison que des terroristes, dans une posture de connaissance inverse à la tienne de surpuissance et de haine, t’ont enlevé la vie ? Au milieu de tes amis journalistes et dessinateurs, qui comme toi avaient intégré l’humour comme une composante nécessaire à la pensée complexe ? .
Bernard, c’était hier, quand tu nous avais fait rire à Toulouse au festival Camino de la non violence, en nous racontant à ta manière la fable de la “cigale et la fourmi” ! Par cette fable tu nous faisais comprendre que la valeur “liberté“, associée au dynamisme entrepreneuriale des fourmis (souvent droguées par le travail ?), était indissociable de la deuxième valeur “égalité”, partage solidaire sans laquelle il n’y aurait pas de désir de vivre ensemble et de sentiment d’appartenance à une société de droits et de devoirs. Tu étais de ceux qui prônait une société ” avec” marché plutôt qu’une “société de marché” réduisant l’Etat (comme les néolibéraux le souhaitent) à la seule fonction de police et de justice.
La fraternité au secours de la liberté et pourquoi pas de l’égalité ?
Bernard, tu as eu raison de nous enseigner sans cesse que la liberté nourrit l’égalité qui nourrit la liberté. En économiste, sachant qu’à l’inverse des trente glorieuses, ces trente dernières années les revenus du capital ont augmenté de 22% tandis que les revenus du travail ont baissé de 17%, tu rêvais plutôt d’un nouveau Roosevelt initiateur d’une relance de la demande qu’un promoteur de l’austérité pour faire plaisir aux banquiers !
Le paradoxe c’est que en plein déficit historique d’égalité, ton départ, avec Charb, Cabu, Tignous, Wolenski, a engendré un mouvement inattendu et inouï par son ampleur d’émotion et de communion, relayé à l’étranger, qui par “effet miroir” a réveillé un sentiment de fierté: celui d’appartenir à la mémoire collective de la République française. Ce moment d’empathie collective à défendre la liberté d’expression pour dire à plusieurs millions de citoyens dans la rue: ” je suis Charlie, je suis juif, je suis flic, je n’ai pas peur ..( en face de 2000 tweets sur internet qui ont dit ” je suis l’assassin” ), serait-elle une manifestation de cette troisième valeur de notre République : la « fraternité » ? Ce mot “fraternité” que nous avons rajouté sur nos frontons municipaux à l’issue de la confrontation des ghettos de riches et des ghettos de pauvres qui ont fait 3000 morts sur les barricades à Paris en 1848 ?
Bernard, cet élan de fraternité extraordinaire, serait -il à l’image des élans qui émergent aussi sur les territoires à travers des milliers d’initiatives citoyennes sociales et/ou solidaires par réaction à l’inégalité ? Ce sursaut soudain de ” fraternité” pour les familles de victime comme pour crier au monde notre “droit à la Liberté” , pourrait-il, connaissant tes convictions d’économiste et d’humanisme, aller aussi au secours de notre “idéal citoyen d’égalité” avec le même enthousiasme et le même souffle ?
En clair la fraternité (catharsis ou élan de l’âme des français qui défie la raison ? ) pourrait-elle avec la même ferveur, restaurer notre idéal d’égalité (ou d’équité) comme elle l’a fait pour la liberté ?
Un revenu de vie pour “réussir sa vie” et se réapproprier la monnaie
En économiste tu nous a souvent expliqué que, contrairement au troc, la monnaie pour faciliter l’échange de bien et de services avait aussi partie liée avec le sacré. Aristote, quatre siècle avant JC, nous avait mis en garde déjà sur l’inversion de la monnaie comme un “moyen devenant une fin en soi”. “L’argent qui engendre de l’argent, sans passer par la richesse qui accroit le bien être de ses proches”, nous fait basculer ,disait-il , dans un monde nouveau qui supprime les limites à l’avidité et au pouvoir ! Aristote annonçait-il notre monde où 285 revenus possèdent à eux seuls ceux de la moitié des revenus de la moitié des humains ? Comme plus tôt encore le philosophe Homère annonçait “ces demi dieux manipulateurs de signes et de symboles” au delà des nuages dominant les hommes. Bernard, ce moment de ton départ pourrait-il être l’occasion de revenir à une politique économique de la demande comme Franklin Roosevelt l’avait proposé en 1932 en inventant le “dividende universel” ou le crédit social. C’était la loi “Bill Goldsborough”votée par 260 députés au Congres contre seulement 40 opposés ! Qui sait que la pression des banques va faire céder Roosevelt, abandonner le crédit social (qui devait accroitre le pouvoir d’achat de 30% par création monétaire), pour préférer le New Deal proposé par des prêts de la finance ?
Bernard, tu es parti trop tôt pour nous aider à instaurer un « revenu de vie » pour renouer la liberté avec l’égalité. Un revenu, le même pour tous, complémentaire pour apprendre à « réussir sa vie » en découvrant ses talents, en riant comme Charlie, plutôt que seulement en voulant “réussir dans la vie” ! Au risque de perdre sa vie à vouloir la gagner ? . Un revenu de vie en parti versé en « monnaie locale complémentaire », pour démultiplier les initiatives locales solidaires souvent non monétaires, pour mieux partager le travail, pour contrairement aux terroristes apprendre à nous apprivoiser à nous même, à nos voisins et à notre environnement ? Je sais Bernard que tu étais ouvert au débat de non seulement se réapproprier la monnaie mais aussi à celui du revenu de vie, ce premier chantier “systémique et social pour l’Europe (qui a obtenu 258 000 signatures déjà recensées à Bruxelles en 2012). Comme Jean Jaurès refusant la guerre en 1914, comme J.M.Keynes, l’auteur de la « Théorie sur l’emploi, l’intérêt et la monnaie » que tu citais souvent et qui a inspiré Roosevelt, tu rêvais d’une « Nouvelle Donne de la Pensée ».
Car sans doute savais-tu, comme le confirme maintenant les neurosciences, que nous voyons le réel comme nous le pensons.
François Plassard, auteur de LA VIE RURALE, ENJEU ECOLOGIQUE ET DE SOCIETE
Chercheur en incomplétude, car méfiant de tous les modes de pensée totalitaires et totalisants.
PS: Croyant au mystère de la vie et de la conscience, sans croire pour autant aux religions monothéiques. Dieu serait-il une invention récente des humains qui me semble avoir été historiquement concomitante et utile à la naissance de l’agriculture , des villes et de la monnaie? Mais, en nous mettant à distance de notre corps et de la nature, la religion pourrait peut être, maintenant que nous sommes 7 milliards d’humains, être un frein à notre responsabilité nouvelle d’humain dans l’aventure de la vie? Sur une petite planète que nous ne quitterons pas avant longtemps. Voir le film ” le revenu de vie” de Michael le sauce – les Zooms verts ou sur le mouvement français pour un revenu de base MFRB.
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