L’enseignement de la musique en conservatoire: pfff !!!

Musique en conservatoire: un parcours semé d’embûches

Un article de Muriel RADAULT, une de nos auteurs, sur le Huffington Post Publication:
CHILDREN PLAYING MUSIC

CULTURE – Qui n’a pas désespéré de voir un jour simplifié le chemin d’accès à la pratique musicale? Mère d’élèves de conservatoires parisiens pendant plus de 15 ans, je me suis intéressée au sort réservé par ces institutions à leurs élèves et tout particulièrement aux enfants du 1er cycle désireux de commencer l’apprentissage d’un instrument de musique.

Qu’observe-t-on aujourd’hui?

D’abord on se bat pour entrer dans un établissement où les places sont rares, puis… on est conduit vers la sortie. Nombre de conservatoires perdent près de la moitié de leurs effectifs dès le 2e cycle d’études (la fameuse “évaporation” des élèves constatée dans tous les audits de l’Inspection Générale de la Ville de Paris en 2010). Ce n’est pas l’exigence qui est ici en cause, c’est une exigence mal ciblée qui, lorsqu’elle ne s’adresse à personne, manque son objectif: former un public d’amateurs dont certains deviendront professionnels.

Remettre le solfège à sa juste place

Dans le système officiel d’apprentissage de la musique, le solfège (“formation musicale”) occupe une place exorbitante et, au lieu d’être un simple outil au service de la pratique, fait office de repoussoir: huit longues années de parcours obligatoire, des horaires impossibles, des contenus inadaptés. Les professeurs d’instrument ont peu de temps et il n’est pas inintéressant de les décharger d’un travail élémentaire qui leur permet de se concentrer sur l’interprétation. Mais actuellement, c’est un peu comme si on demandait à un enfant qui veut faire son premier gâteau d’apprendre par cœur les 3 tomes d’un manuel de gastronomie pour avoir le droit de casser des œufs.

Elitisme

Le système n’est pas exactement élitiste, puisque même des enfants doués, soutenus par leur famille et socialement favorisés s’y cassent les dents: il est tout simplement mauvais. La musique de Mozart est universelle et à l’âge des enfants il y a encore une grande ouverture d’esprit qu’il convient de nourrir. La pratique musicale, porteuse de tant de bienfaits (écoute, tolérance, harmonie) ne devrait pas être entravée comme elle l’est actuellement.

Ouverture sociale insuffisante?

Probablement. Mais avant d’aborder cette question, il faut régler celle de la qualité de l’enseignement lui-même. Les études révèlent que les conservatoires sont majoritairement fréquentés par des enfants issus de familles aisées. Comment pourrait-il en être autrement lorsqu’on demande aux familles d’organiser l’accompagnement de l’enfant trois fois par semaine? Lorsque l’on proposera un meilleur système, on verra qu’il sera aussi plus facile de le partager, comme tout ce qui rayonne. Chorales et orchestres à travers le monde nous montrent l’exemple.

Un problème de fond: le manque de places

Recruter davantage de professeurs d’instrument et d’orchestre en leur donnant un statut à hauteur de la qualité qui est attendue d’eux relève d’une volonté publique. Il y a actuellement une sorte de stratégie du dégoût qui, même si elle n’est voulue par personne, induit de facto un certain confort de fonctionnement: en rejetant prématurément de ses murs près d’un enfant sur deux, on libère des places pour les nouveaux entrants et on donne l’illusion que la machine tourne. Or, c’est l’institution qui doit être au service de l’enfant et non l’inverse.

Y a-t-il des signes encourageants?

Oui et non. Certains ont pris des mesures qui vont dans le bon sens: par exemple, le CMA*13 a renoncé au classement contestable de ses élèves, encore appliqué en 2013, et affiche d’excellents résultats en fin de 1er cycle de solfège, regroupés en mentions générales. D’autres poursuivent une voie rigoriste, sanctionnée par des examens annuels. En juin 2014, d’après les tableaux d’affichage du CMA15, on recense 105 inscrits en classe de solfège (niveau 1C 3) mais seulement 57 élèves valideront leur examen de fin de 1er cycle (niveau 1C4). En moins de deux ans, où mène-t-on ce jeune public de 9-11 ans?

Il ne s’agit pas des mêmes élèves mais la courbe est récurrente. On ne peut pas dire qu’elle soit incitative. Ce système est violent. Il fait peser sur l’enfant un stress parfaitement inutile, le rendant in fine responsable des dysfonctionnements de l’institution. On récolte ce que l’on a semé: redoublements, non admission à poursuivre ou abandon spontané de l’élève. Le bilan est lourd lorsque l’on sait que l’arrêt du cours de solfège implique nécessairement celui du cours d’instrument. En juin 2013, dans cet arrondissement de 230.000 habitants, seulement 11 élèves ont obtenu leur diplôme de fin de 2e cycle en formation musicale.

Quelles solutions?

A mon sens, le 1er cycle de solfège serait avantageusement remplacé par un cycle unique n’excédant pas 5 ans, avec des contenus recentrés sur quelques paramètres élémentaires (rythme, chant, déchiffrage). Dès la 2ème année, on pourrait alterner quelques mois de solfège et quelques mois de pratique collective (cette dernière pouvant être conservée à l’année si l’élève le souhaite), aucune de ces activités ne dépassant une heure hebdomadaire. Moyennant une assiduité convenable, je suis favorable à la suppression des examens de solfège qui, s’ajoutant aux examens instrumentaux, ne méritent pas leur pouvoir de blocage. Une fois ce cycle validé, le parcours ordinaire d’un élève se limiterait au cours d’instrument et à la pratique collective.

Cela n’empêche pas de proposer des permanences de soutien où des élèves pourraient librement venir chercher de l’aide ainsi qu’un enseignement facultatif de formation musicale pour ceux qui souhaiteraient poursuivre cet apprentissage, au demeurant passionnant.

Nébuleuse

Le conservatoire occupe une place de choix dans le paysage musical. L’on y rencontre de formidables enseignants. Il peut et doit garder sa spécificité: celle d’une école d’exigence, à condition que cette exigence soit déployée à bon escient. Le travail instrumental tel qu’on le pratique en son sein réclame rigueur et ténacité. Mais d’autres structures existent, qu’il convient de soutenir: associations, centres de loisirs, orchestres ou chorales scolaires.

La musique, et heureusement, ne fleurit pas que dans les conservatoires. Elle est la vie même: vaste et diverse.

A une époque où prévaut l'”open space”, l’individuel, la relation professeur-élève est précieuse et doit être préservée. Le collectif est déjà largement présent en conservatoire et s’y décline sous de multiples formes. Le problème majeur est celui de l’accès à la pratique. Lorsque l’on noie l’esprit de l’élève dans un amas d’enseignements théoriques flous, lourds et répressifs, on porte atteinte à son désir même, à son aspiration inaliénable à la pratique musicale. En réquisitionnant les enfants de manière aussi inutile et avec les piètres résultats que l’on obtient, on les détourne de la musique.

Il faut libérer la pratique car c’est par elle que l’on pourra à la fois améliorer la formation musicale globale des élèves et atteindre un plus grand nombre d’enfants.
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*Conservatoire Municipal d’Arrondissement

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Murielle Radault – L’Enseignement du solfège en Conservatoire: un naufrage français – Ed. Yves Michel

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