Le contenu de ce plan « B »
Ce plan a été en partie révélé par un quotidien grec[3], à partir de fuites provenant de l’appareil gouvernemental. Ce quotidien étant très opposé à Syriza, il convient de faire attention à des formulations qui sont employées, et qui ne correspondent nullement à la réalité. Néanmoins, on y apprend que Varoufakis et Tsipras, dès le mois de décembre 2014, soit avant l’élection de janvier 2015, s’attendaient à se heurter à une opposition résolue de la BCE et à un blocage des activités bancaires en Grèce. Le journaliste Britannique Ambrose Evans-Pritchard, dans The Telegraph, donne la version de Varoufakis[4]. Cette source peut-être considérée comme plus fiable, et en tous les cas plus honnête, que celle du journal grec. Romaric Godin, de La Tribune, dont on salue ici le couverture des événements en Grèce, a publié un article plus court sur le sujet[5].
Le plan de Varoufakis consistait à créer un système parallèle au système officiel pour les paiements entre le gouvernement et les entreprises[6]. Mais, l’administration fiscale étant de fait sous le contrôle d’experts appointés par la « Troïka », il fut obligé de le faire en secret. Ce système de paiements parallèles aurait permis au gouvernement grec de contourner le blocage des banques organisé par la BCE. Il aurait aussi pu permettre un glissement très rapide de l’Euro vers la Drachme, mais Varoufakis, selon les propos rapporté par The Telegraph, n’envisageait cela qu’en toute dernière extrémité[7]. Toujours d’après les déclarations faites à Ambrose Evans-Pritchard dans The Telegraph, Varoufakis affirme que c’est dans la nuits du 5 au 6 juillet, alors que le « Non » l’avait largement emporté au référendum, que Tsipras s’est refusé à mettre ce système en œuvre, ce qui provoqua la démission de Varoufakis.
Je sais, pour avoir été en contact avec des membres du cabinet de Varoufakis, que ce système de paiements parallèle n’était que l’un des éléments du « plan B ». La réquisition des banques et de la Banque Centrale, dans le cadre des pouvoirs d’urgence qu’auraient dû réclamer Tsipras, en faisait partie. Dans les conversations que j’ai eu avec des membres du cabinet, j’ai expliqué qu’il fallait être conscient que ces mesures de réquisitions constituaient une rupture des traités, et qu’il fallait les présenter comme une réponse aux actions illégales de la BCE envers la Grèce.
Sur le fond, il est clair que le refus de Tsipras de mettre en œuvre ce « plan B » est lié à son refus, quel qu’en soit les motifs, de rompre avec le cadre de l’Euro et de l’Europe. Les explications sur la crainte de provoquer la « banqueroute » des banques ne tiennent pas, car, justement, ce plan visait à porter remède à la situation des banques. La décision d’Alexis Tsipras est politique. Placé devant le choix entre le programme de Syriza et l’UE, il a choisi l’UE et l’austérité. C’est ce qui explique sa capitulation la semaine suivante et l’acceptation du Diktat européen du 13 juillet.
Les conséquences de la réquisition de la Banque Centrale de Grèce
Un point important ici, car il a été évoqué à de nombreuses reprises dans le débat français, et en particulier dans des discussions publiques que j’ai eues avec Jacques Généreux et Jean-Luc Mélenchon[8], porte sur la réquisition de la Banque Centrale. Cette réquisition avait fondamentalement pour but de récupérer la souveraineté monétaire et de débloquer les réserves détenues à la BofG et dans les banques commerciales, mais sous « clef » de la BofG. Ces réserves se montaient à 12 milliards d’euros, et auraient permis à la circulation monétaire de reprendre pour quelques semaines.
Une source de la BCE, relayée par un article du Financial Times, indique que face à une telle mesure la BCE aurait dénoncé les réserves réquisitionnées comme de la « fausse monnaie »[9]. Cet article contient plusieurs inexactitudes par ailleurs. Mais, ce qui nous intéresse ici est bien la réaction de la BCE face à la réquisition d’une des Banques Centrales de la zone Euro. En fait, la BCE ne peut pas discriminer entre l’argent en circulation avant la réquisition et la fraction saisie du fait de la réquisition. La seule chose qu’elle puisse techniquement faire c’est d’isoler le pays ayant fait cette réquisition et d’obliger les banques des autres pays de la zone Euro de ne pas reconnaître comme valable en tant qu’euro la monnaie circulant dans le pays ayant fait cette réquisition. Notons que c’est déjà en partie ce que la BCE avait imposé à la Grèce. Mais, dans le cas d’une réquisition il est donc possible que la BCE isole totalement le pays ayant réalisé cette réquisition, l’obligeant alors soit à ne plus du tout commercer avec les autres pays de la zone Euro, soit à changer de monnaie et de fait à sortir de la zone Euro.
Autrement dit, la réquisition pourrait conduire très rapidement à une sortie de l’Euro. Dans le cas de la Grèce, le gouvernement grec pouvait légitimement dire que les mesures de réquisition, qui auraient été nécessaires pour éviter la destruction du système bancaire grecque, n’étaient que la réponse à l’action illégale de la BCE qui avait mis en péril le système bancaire alors que l’une de ses missions, inscrites dans sa charte, est justement d’assurer le bon fonctionnement de ce système bancaire. Mais, dans les faits, il apparaît clairement que les actions de la BCE ne sont plus contraintes par une quelconque légalité. Cette dernière est devenue un monstre, ou plus précisément un tyran qui s’est dégagé de toute règle.
Implications
Les implications d’une telle évolution de la BCE sont claires pour tout gouvernement qui entrerait en conflit avec les institutions de la zone Euro. Il lui faudrait recourir très vite à l’état d’exception. Concrètement, cela signifie que dans le cas de la France, si un gouvernement, par exemple à la suite d’une élection présidentielle ou dans d’autres circonstances, engageait un bras de fer avec les institutions de la zone Euro, il li faudrait très rapidement recourir à l’article 16 afin de pouvoir, durant le temps de la crise, gouverner par décret. Rappelons en les termes :
« Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des Présidents des Assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel.
Il en informe la Nation par un message.
Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d’assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d’accomplir leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet.
Le Parlement se réunit de plein droit.
L’Assemblée nationale ne peut être dissoute pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels.
Après trente jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, aux fins d’examiner si les conditions énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se prononce dans les délais les plus brefs par un avis public. Il procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée. [10]»
Il est clair que les « institutions de la République » ainsi que « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels » seraient ici clairement mises en cause par le risque de chaos bancaire. Il convient de signaler que l’article 16 confère les pleins pouvoirs au Président de la République, les avis du Premier ministre, des Présidents des Chambres ou du Conseil Constitutionnel étant seulement indicatifs. De même, il faut signaler que dans son arrêt Rubin de Servens, datant du 2 mars 1962, le Conseil d’Etat précise que la décision de mettre en œuvre les pouvoirs exceptionnels est « un acte de gouvernement dont il n’appartient pas au Conseil d’État d’apprécier la légalité ni de contrôler la durée d’application ». Autrement dit le Conseil d’Etat s’est mis de lui-même hors-jeu quant à un possible contrôle, a priori ou a posteriori des dispositions de l’article 16.
Tout « plan B » doit donc inclure clairement le recours le plus rapidement possible à l’article 16.
Notes
[1] Pierre Laurent : “Une sortie de la zone euro n’empêche pas la pression des marchés”, entretien avec Bruno Rieth, Marianne, 25 juillet 2015, https://www.marianne.net/pierre-laurent-sortie-zone-euro-n-empeche-pas-pression-marches-100235637.html
[2] Munevar D., « Why I’ve Changed My Mind About Grexit », in SocialEurope, 23 juillet 2015, https://www.socialeurope.eu/2015/07/why-ive-changed-my-mind-about-grexit/
[3] https://www.ekathimerini.com/199945/article/ekathimerini/news/varoufakis-claims-had-approval-to-plan-parallel-banking-system
[4] https://www.telegraph.co.uk/finance/economics/11764018/Varoufakis-reveals-cloak-and-dagger-Plan-B-for-Greece-awaits-treason-charges.html
[5] https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/pirater-l-administration-fiscale-grecque-l-incroyable-plan-b-de-varoufakis-494507.html
[6] https://www.telegraph.co.uk/finance/economics/11764018/Varoufakis-reveals-cloak-and-dagger-Plan-B-for-Greece-awaits-treason-charges.html
[7] https://www.telegraph.co.uk/finance/economics/11764018/Varoufakis-reveals-cloak-and-dagger-Plan-B-for-Greece-awaits-treason-charges.html
[8] Le débat avec Jean-Luc Mélenchon date de juillet 2013, et il fut réalisé par l’équipe d’arrêt sur image. Mélenchon fait référence à cette réquisition à partir de discussions que j’avais eues depuis le printemps 2011 avec Jacques Généreux qui, à l’époque, était le responsable « économie » du Parti de Gauche.
[9] Kerin Hope et Tony Barber, « Syriza’s covert plot during crisis talks to return to drachma », Financial Times, 24 juillet 2015, https://www.ft.com/intl/cms/s/0/2a0a1d94-3201-11e5-8873-775ba7c2ea3d.html#axzz3gx22HCKc
[10] Rédaction de 2008.
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