C’était une étape redoutée par les défenseurs de la nature, tant le Sénat est associé, à leurs yeux, à un repaire de chasseurs peu enclins à la protection de la biodiversité. Mardi 26 janvier en début d’après-midi, la chambre haute a voté en première lecture, par 263 voix pour et 32 contre, le projet de loi « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages », après une semaine de débats soutenus, et parfois houleux. Dix mois après son passage à l’Assemblée nationale, ce texte, le premier d’envergure depuis la loi de 1976 sur la protection de la nature, devra ensuite revenir devant les parlementaires en deuxième lecture, pour une adoption définitive prévue avant la fin de l’année.
« Après la COP21, vous avez su transcender les clivages partisans pour rapprocher les points de vue en recherchant l’intérêt général de notre avenir commun, et en mettant la France très en avance sur les enjeux de la biodiversité et du climat », a déclaré, vendredi 22 janvier, la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, dont c’est la seconde loi après celle sur la transition énergétique.
- Le maintien des grands principes
- Une Agence française pour la biodiversité bancale
- Des avancées sur l’huile de palme ou le préjudice écologique
- Des reculs importants sur la chasse ou les néonicotinoïdes
- Vers un accord en seconde lecture ?
- Le maintien des grands principes
« L’équilibre global de la loi et ses fondamentaux n’ont pas été modifiés », souligne Christophe Aubel, directeur de l’ONG Humanité et biodiversité. Il en est ainsi du principe de solidarité écologique, « qui appelle à prendre en compte, dans toute prise de décision publique ayant une incidence notable sur l’environnement, les interactions des écosystèmes, des êtres vivants et des milieux naturels ou aménagés ». Ou encore du triptyque « éviter, réduire, compenser », qui s’applique à tout aménageur dont le projet entraîne des dégradations écologiques.
Seul recul en la matière, mais à forte portée symbolique : le vote de trois amendements qui restreignent la défense de la biodiversité pour ce qu’elle est. Ils disposent que les mesures prises en sa faveur prennent en compte non seulement ses « valeurs intrinsèques », mais aussi ses « valeurs d’usage ». Autrement dit, le choix de protéger la nature, dans les décisions publiques et privées, face à un projet d’aménagement par exemple, devra inclure les services qu’elle peut rendre aux humains – pollinisation, productivité des terres, assainissement de l’air et de l’eau… –, mais également les usages qui s’y rattachent, tels que la chasse et la pêche.
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- Une Agence française pour la biodiversité bancale
La pierre angulaire du dispositif sera la création d’une Agence française pour la biodiversité (AFB) qui, initialement programmée pour le 1er janvier 2016, doit être opérationnelle « dès la promulgation de la loi ». Constituant un appui technique pour les collectivités, les entreprises ou les associations, cet établissement public à caractère administratif regroupera les 1 200 agents de quatre structures existantes : l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, l’Atelier technique des espaces naturels, l’Agence des aires marines protégées et les Parcs nationaux de France. Ce sera le deuxième grand opérateur de l’État en matière d’environnement après l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe).
Mais pour les ONG, le périmètre de l’AFB, qui n’inclut pas l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), en fera une agence « unijambiste », centrée sur les domaines aquatique et marin, mais sans compétence sur la biodiversité terrestre. « La chasse ne saurait se résoudre à être un diverticule de la biodiversité de par sa dimension associative, culturelle et économique », ont jugé les sénateurs. Dès avant l’examen de la loi, les chasseurs, défendant leur pré carré, avaient obtenu de François Hollande l’assurance que l’ONCFS garderait son autonomie.
Autre inquiétude : l’AFB doit être dotée d’un budget de fonctionnement d’environ 230 millions d’euros – la somme des budgets des quatre établissements publics qui la composeront –, mais les crédits d’intervention qui lui sont nécessaires, estimés par les ONG à au moins 250 millions d’euros, restent à trouver. Mme Royal a confirmé que 60 millions d’euros lui seraient affectés au titre des investissements d’avenir, et elle a récemment annoncé une mission sur le financement de la biodiversité, confiée au Commissariat général au développement durable.
- Des avancées sur l’huile de palme ou le préjudice écologique
Les sénateurs ont introduit plusieurs avancées dans le texte de loi. Il en est ainsi du préjudice écologique, qui consiste à faire payer aux pollueurs les dégâts infligés à la nature. Ce principe, promis de longue date par la garde des sceaux, Christiane Taubira, avait fini par être enterré faute de vraie volonté politique. L’article voté dispose que « toute personne qui cause un dommage grave et durable à l’environnement est tenue de le réparer ». Et que cette réparation « s’effectue prioritairement en nature », c’est-à-dire par une remise en état du milieu au frais de celui qui l’a dégradé, ou, à défaut, par « une compensation financière ».
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Les sénateurs ont également voté la ratification par la France du protocole de Nagoya sur la « biopiraterie ». Il vise à éviter le pillage sans contrepartie, par des firmes pharmaceutiques, cosmétiques ou agroalimentaires, de connaissances traditionnelles ou de ressources génétiques (plantes, animaux ou bactéries) d’où peuvent être tirés des produits commercialisés, avec dépôt de brevets. La France avait signé en 2011 cet accord adopté en 2010 au Japon sous l’égide des Nations unies, mais ne l’a toujours pas ratifié. La ministre de l’écologie a précisé que cette ratification « devrait intervenir idéalement » avant décembre 2016.
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C’est aussi le retour de la « taxe Nutella ». A l’initiative des écologistes, un nouvel article crée une taxe additionnelle sur les huiles de palme destinées à l’alimentation humaine. Cette contribution, dont le montant serait progressif, de 300 euros la tonne en 2017 à 900 en 2020, aurait un rendement de 149 millions d’euros par an à partir de 2019. Elle supprime ainsi l’avantage fiscal dont bénéficiait l’huile de palme, accusée de favoriser l’obésité et la déforestation mais moins taxée que les autres huiles végétales telles que le tournesol ou le colza.
Parmi les autres ajouts positifs : la création d’action de groupe dans le domaine environnemental (class actions), l’autorisation des échanges de semences traditionnelles, les limites fixées à la brevetabilité du vivant, la systématisation de plans d’actions obligatoires pour les espèces les plus menacées ou encore la création d’un « open data » pour améliorer la connaissance naturaliste du territoire.
- Des reculs importants sur la chasse ou les néonicotinoïdes
A côté de ces avancées, le texte issu des travaux du Sénat affiche aussi d’importants reculs. « Il s’agit, au final, d’un texte très hétérogène, commente Ronan Dantec (Loire-Atlantique), chef de file du groupe écologiste. Nous avons obtenu de vraies victoires pour la protection de la biodiversité, mais le lobby des chasseurs, des agriculteurs et des industriels reste très organisé au Sénat. » De fait, le groupe d’études chasse et pêche de la chambre haute, qui transcende les courants politiques, compte 84 membres, sur 348 sénateurs, qui se sont montrés extrêmement actifs tout au long des débats.
C’est ainsi que l’interdiction de la chasse aux oiseaux à la glu ou à la colle, approuvée par les députés, a disparu. De même que l’interdiction de chasser les mammifères en période de reproduction. Ainsi encore que l’autorisation du chalutage en eaux profondes – une pratique dévastatrice pour la faune et les fonds marins –, qui avait été supprimée par la commission du développement durable du Sénat, et qui a été rétablie.
Une autre régression marquante concerne les néonicotinoïdes, ces pesticides reconnus nocifs pour les insectes pollinisateurs et, plus généralement, pour l’environnement et la santé. Les députés avaient voté leur interdiction à compter du 1er janvier 2016. Les sénateurs sont revenus sur cette mesure. Il est seulement prévu que le ministre de l’agriculture prenne, dans les trois mois suivant la promulgation de la loi, un arrêté déterminant « les conditions d’utilisation » de ces substances chimiques. Cela, en tenant compte des « conséquences sur la production agricole », ce qui augure mal d’un bannissement de ces produits.
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En conclure que les lobbies ont imposé leur loi serait excessif. « Une frange de sénateurs, notamment pro-chasse, mène un combat de fond contre la loi, mais une partie de leurs amendements a été retoquée, note Christophe Aubel (Humanité et biodiversité). Dans la plupart des groupes, les rapports de force sont différents de ceux d’il y a quelques années. Une part importante des sénateurs ont compris que l’avenir de la biodiversité est aussi celui des sociétés humaines, bien au-delà de simples histoires de fleurs et d’oiseaux. »
- Vers un accord en seconde lecture ?
« L’enjeu maintenant c’est que la loi soit rapidement inscrite en seconde lecture à l’Assemblée nationale, indique un communiqué conjoint des associations environnementales. C’est là que le gouvernement et la majorité devront prendre leur responsabilité pour corriger les faiblesses qui perdurent. » Il n’est pas sûr pour autant, compte tenu des dissensions persistantes, que députés et sénateurs parviendront, en deuxième lecture, à s’accorder sur un texte identique. S’ils y échouent, une commission mixte paritaire devra s’efforcer de trouver un compromis, faute de quoi le projet de loi reviendra devant les parlementaires pour une nouvelle lecture. De quoi rendre encore plus incertain le calendrier de son adoption finale.
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