Attentats ? Taisez-vous ! Une prise de position de François de Bernard

 François de BERNARD est l’auteur de deux livres au sein de nos éditions, et un troisième est à paraître cet automne.

fabrique du terrorisme, éditions Yves Michel   L’Homme post-numérique   Pour en finir avec la « civilisation »Ces livres sont d’une cruelle actualité; ils apportent un éclairage particulier sur les dynamiques sous-jacentes à ces attentats et à l’attitude des gouvernants occidentaux, Sarkozy à Trump, de Boris Johnson à Erdogan, de Rajoy au Qatar, de Orban à Poutine, le cercle très large des responsables “au premier chef”…

En avant-première du 3e titre, lequel paraîtra en septembre, François de Bernard vient de rédiger ce texte qui est paru dans le journal LA LIBRE BELGIQUE (annexé).llb_20160719_pe3fla_LIBRE_044

(liens cliquables sous les images)

Taisez-vous ! 

Des bébés, des enfants, des jeunes et des moins jeunes de tous horizons et nationalités se font écraser avec méthode par un camion tueur piloté par un « terroriste islamique » décidé à focaliser sa haine sur les vestales d’un symbole éminent : le 14 juillet ! Il en résulte un bilan humain épouvantable, non seulement par les morts instantanées ou différées, mais encore par les blessures psychiques et physiques qui poursuivront durant des décennies les autres victimes. Tous nous en sommes frappés — de sidération et d’émotion.

Cependant, très vite et presque aussitôt, la voix des leaders politiques et médiatiques se fait entendre, qui prétend baliser le chemin et décider de ce qu’il y aurait à comprendre et exécuter par la suite. Et c’est là même qu’une seconde tragédie prend le relais de la précédente. Car cette autre tragédie est celle de la captation de l’interprétation, une colonisation des esprits érigée en paradigme du contrôle général de la société.

De l’extrême droite à l’extrême gauche en passant par les centres mous et les partis de (non)gouvernement, que prétendent, en effet, nos politico-médiateurs ? Ils prétendent savoir ce qu’il faut comprendre d’un pareil « attentat », ce qu’il faut faire pour éviter leur multiplication ou ce qu’il aurait fallu faire pour parer à cette répétition générale… Alors même qu’ils n’ont pas pensé un seul instant, et encore moins médité, sans parler de prier, sur ce qui a eu lieu et submerge leur innommable bêtise. S’ils avaient pensé « en amont », s’ils avaient quelque légitimité ou maîtrise que ce soit sur « les événements » qui s’égrènent depuis quinze années à tout le moins (pour ne pas dire : soixante-dix !), et dont ils ont été les coproducteurs aux côtés du trio Bush Jr.-Cheney-Rumsfeld, cela se saurait ! Mais cela n’est bien sûr pas le cas.

C’est pourquoi, face à un nouveau carnage qui s’inscrit dans un cycle inexorable, la société civile est en droit d’exiger le silence de ceux, quels qu’ils soient, qui mentent, trichent et la conduisent au fond du gouffre depuis des décennies.

« Taisez-vous ! » est ainsi devenu un impératif catégorique désirable.

Taisez-vous ! et commencez à réfléchir quelques secondes ou minutes. N’essayez pas de penser d’emblée et sans transition, comme si c’était à votre portée, car cela ne l’est pas. Efforcez-vous seulement de méditer un moment sur ce qui arrive et pourquoi cela arrive, sans viser à ce stade une forme de conclusion ou un remède immédiats.

Tentez de sonder le fonds des actions humaines les plus incompréhensibles et réservez votre jugement. Peut-être alors…?

Peut-être alors entendrez-vous derrière la face sanglante du terrorisme contemporain dans ses actes les plus violents : un projet hélas tout à fait rationnel ; une démarche qui même dans ses manifestations pathologiques extrêmes dévoile ses origines historiques et politiques ; une construction commune à laquelle les dirigeants d’ici et de là-bas ont contribué main dans la main, animés d’une solidarité effrayante par-delà leurs divergences de façade.

Peut-être alors ne confondrez-vous plus réaction (votre unique ressort) avec cette action qui fait toujours défaut et que vous invoquez en lévitation comme si sa survenue triomphante dépendait d’une invocation magique. Une action fondée sur l’éducation et la culture, chômées avec assiduité et obstination de trop longue date, alors qu’elles auraient dû être maintenues au fondement de tout ordre social, de toute paix civile, de toute équité républicaine ?

Pour le dire autrement et sans concession : il ne suffit certainement pas d’éduquer et de cultiver mieux les futurs et probables candidats au massacre, à l’extermination, les purificateurs ethniques, les apprentis génocidaires… À cette politique éducative et culturelle — qui devrait être diffusée partout dans la Cité plutôt que seulement en son centre ou sa périphérie —, il ne suffit pas non plus d’associer une police de balancier, une société de surveillance générale chargées d’ériger et contrôler des cloisons étanches avec tout étranger possible…

Il importe, encore et surtout, d’éduquer et de cultiver, malgré eux le cas échéant, des politiques et des médiateurs qui ne se déplacent et « n’agissent » que mus par ces trois moteurs que sont l’ignorance, l’omission et le déni. L’ignorance des causes multiples et entrelacées « du terrorisme ». L’omission de ses racines historiques et politiques. Le déni des crimes passés et des responsabilités accumulées.

C’est seulement alors que l’horreur insoutenable de Nice et d’ailleurs pourra être enfin regardée dans les yeux et entendue pour ce qu’elle est effectivement.

François de Bernard, philosophe et consultant, est l’auteur de La Fabrique du Terrorisme (Ed. Yves Michel, 2008). Dernier ouvrage paru : L’Homme post-numérique (Ed. Y. Michel, 2015)

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