Intervention du Dr. Jean PELLET lors du lancement de l'association APACH
Intervention 25 NOVEMBRE 2013 du Dr. Jean Pellet, auteur du livre Médecine et humanisme: le grand écart et Le Cauchemar d’Hippocrate
L’Association Pour Une Approche Clinique Humaniste (APACH) est donc officiellement née le 25 NOVEMBRE 2013.
Je suis très heureux que cette initiative en gestation depuis 1 an se soit concrétisée. Nous étions nombreux, et cela augure bien de l’avenir. Évidemment, cette réflexion commune sera ce que chacun en fera.
Nous revendiquons le mot d’HUMANISME comme une propédeutique de la relation à l’autre, et en médecine par les temps qui courent le travail est …immense !
Les origines du projet associatif
Je rappelle et notamment pour ceux et celles qui n’étaient pas là lors des premières réunions, les origines de ce qui peut devenir une Association. Je laisserai à Jean Luc le soin de parler de la question qu’ il faut forcement se poser des intentions qui sont les nôtres, sachant que les origines ont évidemment partie liée avec les intentions .
Ce projet est né autour de quelques uns, dont Pierre Péju, Jean Luc Pesenti, Philippe Dransart, avec l’idée de créer un lien entre ceux, qui ont le désir d’approfondir « ce qui se passe » dans la médecine actuellement, depuis disons la prévalence technoscientifique de la médecine. J’emploie volontairement l’expression « ce qui se passe » car il n’a échappé à personne qu’il se passe quelque chose de l’ordre de la dé-subjectivation, et puisque c’est le propre de l’ homme d’être un sujet, ce qui se passe de l’ordre de la déshumanisation, dans les relations entre personnes en général, dans le social , mais avec des conséquences très particulières en médecine, dans la relation subjective médecin-patient.
La subjectivité est devenue facultative. Je pense à la phrase du Procureur dans l’Aveu film de Costa-Gavras, qui répond à Yves Montand incarnant le prisonnier, lors d’un interrogatoire : « Les aspects subjectifs seront abordés dans une phase ultérieure ».
La tendance est à évacuer de la relation médecin-patient la subjectivité, la compassion, l’empathie, le temps de la parole, au profit d’une médecine de l’efficacité, de la technicité, de l’objectivité, d’une prise en compte très particulière d’un corps parcellisé, dé-subjectivé. Une médecine, comme nous l’avons dit, qui serait enfin débarrassée des embarras de la subjectivité, de cette subjectivité qui empêcherait la science de faire son travail d’expertise. C’est cette médecine que l’on nous propose comme modèle, comme nouveau paradigme. Une médecine qui serait également enfin débarrassée des exigences de se réfléchir elle même, à travers son histoire, ses modes de pensées, souci que pourtant la médecine a toujours eu. Il n’y aurait même plus cette exigence théorique, – notamment illustrée par Michel FOUCAULT, Georges CANGUILHEM, et d’autres.
Pierre Péju resitue bien cette « grande mutation » contemporaine. Je le cite « Il y a bientôt quarante ans, Michel Foucault réfléchissait déjà au phénomène : « La médecine moderne –écrivait-il-, est une médecine sociale dont le fondement est une certaine technologie du corps social. La médecine est une pratique sociale, et c’est seulement l’un de ses aspects qui est individualiste et valorise les relations entre la médecine et le patient». Par « médecine sociale », Foucault n’entendait pas exactement une médecine « au service » de la société, mais le fonctionnement de ce qu’il appelait le « biopouvoir », ce mécanisme global de régulation de la santé du corps social, à partir de normes, de données statistiques et de considérations démographiques. Déjà pour le meilleur et pour le pire. On conçoit alors que l’exigence humaniste, dans un tel contexte, puisse sembler utopique ».
Il nous est apparu au cours de nos rencontres préalables, que si l’on n’a pas compris, approfondi, vers quel objet est orienté la médecine de notre temps – quelle est son intentionnalité- il est difficile d’y opposer, ou de proposer, une alternative, sauf à être des Don Quichotte luttant contre les moulins à vent.
Il ne fait aucun doute que nous tous autour de cette table ne sommes pas là par hasard. Nous sommes des sujets restés en éveil, dans notre pratique, sur cette question : quels sont les processus déshumanisants à l’œuvre ? Quelle est la nature de cette banalisation de la déshumanisation, de la banalité de cette déshumanisation au point que parfois même ceux qui la pratiquent la dénient ?
Tous, nous savons de quoi nous parlons. Certains d’entre nous par exemple, ont vécu douloureusement la démission nécessaire d’un comité d’Ethique emprisonné dans une conception purement utilitariste et jurisprudentielle de l’Ethique, où toute parole du sujet malade était exclue, au profit d’un discours pourtant soucieux de la personne malade, et sous prétexte d’une certaine « bientraitance » du patient. Ce n’est pas le moindre des paradoxes, que ce soit sous la visée d’un bien que tout cela se met en place.
Ce qui nous réunit est que souhaitons tous prendre un peu de notre temps- mais si peu finalement, quatre réunions par ans !- pour mettre en relation notre pratique, notre pensée, avec le système qui s’est mis en place et auquel nous participons forcement, même s’il nous fait violence.
J’ai été frappé par la ressemblance entre l’acronyme HPST de la loi Hôpital Patient Santé Territoire de 2009, qui désormais est la norme qui nous gouverne, sorte de code de procédure de la Santé publique, et le titre qu’avait donné FOUCAULT à son cours au collège de France, en 77/78, il y a donc 35 ans, donc plus de 30 ans avant cette Loi programmatique : son cours s’appelait : Sécurité, Territoire, Population.
Je n’ai pu m’empêcher de penser que les concepteurs de la loi HPST qu’il ne faut pas prendre pour des technocrates bornés connaissent Foucault, et ont mis en pratique ce qu’il annonçait lui comme inéluctable : cette technologie du corps social ; ce monde technique qui comme il disait « est la forme armée, positive et pleine de la finitude (humaine) ». « Ce qui est revendiqué et sert d objectif, c est la vie, entendue comme besoins fondamentaux, essence concrète de l’homme, accomplissement de ses virtualités, plénitude du possible, droit au bonheur, à la santé, à la satisfaction de besoins, le droit par delà tout ce qu’on est, et tout ce qu’on peut être ». GUARDIA, médecin et philosophe espagnol, dans son ouvrage-fleuve de 1865, de quelques 800 pages, prédisait déjà que « La santé remplacerait le salut » (« Le Médecin à travers les Siècles »).
Mais pourquoi convoquer ce terme d’ « humanisme » dans notre entreprise ?
Parce que, justement, notre époque nous invite à le revisiter, à revenir sans cesse sur son sens, sur sa valeur universelle. C’est aussi un mot qui élargit me semble t il la notion de subjectivité, et qui évoque immédiatement la vie de relation. On peut le voir justement comme l’art de la vie de relation, toujours en devenir.
L’écueil est bien sûr la banalisation de ce mot, devenu une espèce de « lieu commun ». Mais voyez comme cette expression même peut être interprétée de deux manières : le Lieu Commun, ce peut être l’idée reçue, le truisme, qui évite justement à celui qui la professe tout effort de pensée.
Mais ce peut être aussi le lieu d’une pensée consensuelle, appartenant à un fond commun, à la disposition de tous, qui a valeur reconnue, qui vient renforcer l’adhésion .
Alors faisons de l ‘humanisme ce lieu commun, ce qui est le cas ce soir dans cette salle.
De plus la question de l’humanisme a particulièrement partie liée avec la médecine. « Il est très humain ce docteur », dit le patient. Tiens ? Cela n’irait donc plus de soi ? Ce ne serait plus un pléonasme, de dire qu’un médecin est « humain ».
La question de l’humanisme a aussi partie liée avec le siècle, le XXème et le début du XXIème, au point que l’on a pu parler de la fin de l’humanisme après Auschwitch et ce que Anna Arendt a appelé la « banalité du mal ». Je pense que Jean Luc Pesenti qui a travaillé sur les livres de Peter Sloterdijk, « Règles pour le parc humain » et « La Domestication de l’être », nous en parlera au cours de l’année.
Je crois que si nous nous définissons comme humanistes, ce n’est pas dans le sens d’un humanisme théorique, métaphysique, une sorte de religion de l’humain, mais dans le sens d’un humanisme militant en quelque sorte, et sans banaliser l’expression, un humanisme que André Comte Sponville dans son « dictionnaire » nomme « humanisme pratique », qui ne prétend à aucun absolu, qui est un guide pour l’action, une fidélité, une exigence de la pensée.
A chacun d’y voir aussi, c’est peut être justement la valeur ouverte, non sectaire de ce mot, la liberté de ce mot, loin des chapelles, – d’y mettre ce qu’il veut y mettre, l’agnostique comme le croyant, le matérialiste comme l’idéaliste, le philanthrope comme le sceptique, le médecin ou le psychanalyste comme le patient. La Mettrie, médecin et philosophe bien oublié, que site aussi Comte Sponville , disait « Je déplore le sort de l’humanité, d’être en aussi mauvaises mains que les siennes » . Même si l’on est dans ce scepticisme, et que l’on ne voit dans les êtres humains que de purs produits de l’histoire, on ne renonce pas pour autant à soigner, à comprendre, à créer un lien thérapeutique. On peut être humaniste et sans illusion sur la civilisation et la nature humaine.
Un humanisme pratique donc, « de sauvegarde, qui ne vaut que par les actions qu’il suscite. Non pas une croyance mais une volonté ».
Ainsi il me semble que le terme de déshumanisation parle plus que celui, peut être plus pertinent, de dé-subjectivation, déshumanisation silencieuse, qui comme on l’a dit va jusqu’au déni d’elle même.
Et enfin, pourquoi une Association, plutôt qu’un groupe de travail, ou de réflexion, un cercle, un club ?
Ce n’est pas seulement que je trouve que le mot est beau.
Il suggère par son allitération même la prise en compte du social, de l’action nécessaire, de la mise en commun des expériences. Il résume, me semble t-il, ce que nous voulons faire : l’approfondissement en commun, du sens de notre pratique, créer du lien entre soignants et philosophes, penseurs, patients, échanger des expériences vives, et sans nous leurrer sur le sous titre obligé « association d’utilité publique », qui vient fort peu modestement agrémenter le mot.
De plus, nous ne sommes pas seuls dans cette démarche.
J’avais reçu à l’occasion de la parution de mon livre un mail de Paul LACAZE, psychiatre à Montpellier, que j’avais rencontré car j’avais été invité à l’occasion de mon premier bouquin à intervenir lors d’une journée d’études de leur Association, l’AME (Association pour une Médecine Ethique) mail que je vous lit… ( ).
Voyez que nous ne sommes pas seuls, et que notre démarche s’inscrit dans une mouvance réellement active et vivante, dans la vraie vie.
Il se trouve que dans ces recoupements et ces correspondances je retrouve le nom de Jacqueline LEGAUT, psychanalyste Grenobloise que beaucoup connaissent, au côté du nom de Paul LACAZE, dans la composition du Comité International ALFAPSY, acronyme de la fédération internationale francophone de psychiatrie.
Donc nous ne sommes pas ce dernier village Gaulois résistant ce soir dans un Centre Théologique de Meylan désert et notre démarche, par delà les pratiques, s’inscrit dans une mouvance réellement active et vivante, dans la vraie vie.
Je tenais ce soir à remercier ceux qui ont participé aux réunions « préparatoires » à cette soirée, et à ce projet, dont certains ne peuvent pas être là ce soir. Pierre Péju, Philippe Dransart, Jean Luc Pesenti, Lucille Boschetti, Dominique Rohrer D’Albo, Michel Mallaret, Jacqueline Yver, Sophie Palenciano, Elisabeth Bourbousson.
Voilà. Je vous remercie tous d’être là.
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